Première application de la notion d'abus de droit d'agir en déchéance devant l'INPI
Le 25 janvier 2022
Depuis la réforme du droit des marques par l’ordonnance n°2019-1169 transposant en droit français la directive UE n°2015-2436, l’INPI s’est vu notamment attribuer une compétence exclusive pour connaître des actions en déchéance de marque pour non-usage.
Le point principal de cette nouvelle action en déchéance de marque devant l’INPI était la disparition de l’exigence d’intérêt à agir pour le demandeur en déchéance.
En effet, l’article L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle précise que quand les actions en déchéance de marque sont portées devant les Tribunaux Judiciaires (en cas de demande reconventionnelle ou de connexité avec une action en contrefaçon le TJ reste compétent), l’action est ouverte “à tout intéressé” alors que devant l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) l’action est ouverte “à toute personne physique ou morale”.
Cette règle d’absence de démonstration d’intérêt à agir était d’ailleurs classiquement en vigueur devant l’EUIPO pour les actions en déchéance contre les marques de l’Union Européennes.
Or, le risque était de voir les demandeurs pouvoir engager des actions en nullité de marque pour non-usage à des fins abusives, dans la mesure où, formellement, n’importe qui pouvait attaquer n’importe quelle marque en déchéance pour non-usage et ainsi forcer les défendeurs à présenter des preuves d’usage (exercice parfois difficile et toujours laborieux) pour maintenir leurs marquees en vigueur (il convient de préciser qu’en l’absence de preuves d’usage présentées, même si l’usage de la marque est évident, l’INPI est tenu de prononcer automatiquement la déchéance!).
Rappelons que l’objectif poursuivi par la règle prévoyant la déchéance de la marque en cas de non-usage pendant une période de 5 ans est de libérer les registres des maques non-utilisées qui empêchent les opérateurs économiques de pouvoir les déposer ou les utiliser à leur tour, et non pas, de porter atteinte aux titulaires ou de faire pression sur eux en utilisant cette action en déchéance.
L’INPI a ainsi rendu une première décision à l’occasion de laquelle elle a sanctionné un demandeur en déchéance de marque pour abus de procédure en déclarant sa demande irrecevable. (décision INPI DC20-0123 du 19/09/2021 concernant une marque SHIVA).
L’INPI retient que : “Il convient de préciser que si l’intérêt à agir n’est pas requis dans le cadre des demandes en déchéance formées devant l’Institut, en application de l’article L.716-3 du code de la propriété intellectuelle, la notion d’abus de droit ou de procédure abusive est indépendante des règles relatives à la personne habilitée à introduire une demande de déchéance. Le droit de présenter une demande en déchéance est susceptible de dégénérer en abus, s’il relève en réalité d’une intention de nuire de la part du demandeur”.
Nous ne pouvons que saluer cette décision qui va dans le sens d’une autre décision antérieure de la Grande Chambre de recours de l’EUIPO dans un affaire « Sandra Pabst » (11/02/2020, R 2445/2017-G, Sandra Prabst).
Dans cette décision la Grande Chambre de Recours de l’EUIPO précise d’ailleurs, sur la notion d’intérêt général que “« L’intérêt général qui sous tend l’article 58 du RMUE n’est pas absolu. Il est dans l’intérêt général d ’annuler une marque non utilisée, mais il n’est pas dans l’intérêt général d ’inonder les parties adverses ou même les Offices avec des demandes vexatoires. S’il existait un intérêt public absolu à éviter tout enregistrement inutilisé d’une marque dans le registre, il y aurait un examen d’office de l’usage sérieux d’une marque sur le registre, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de la marque de l’Union européenne ».
Nous espérons vivement que ces décisions feront jurisprudence et que soient sanctionnées toutes actions abusives en déchéance de marques.
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